Un peu d'histoire d'abord : soucieux de posséder une capitale digne de ce nom tout en évitant d'attiser la rivalité des deux géants de la côte est (Sydney et Melbourne), le pouvoir opta pour une option pacifique : la construction entre les deux d'une nouvelle ville. Ainsi fut fait, à coup de grands tracés géométriques. Cent ans plus tard, nous voici projetés Stéphane, Sofiane et moi-même dans un bus Greyhound (compagnie très abordable, bébé hurlant à l'arrière et film d'horreur passionnant à l'avant) pour aller découvrir la source de ce patriotisme étonnant. Sans même s'en rendre compte, on explore déjà le cœur de la ville. Et pourtant rien n'y ressemble. Quelques bâtiments imposants bordent de longues avenues, la verdure se répand abondamment de tous les côtés. Stéphane avait prévenu, on surnomme l'endroit "le village vert"... Où sont les voitures qui klaxonnent, la pollution, et surtout... les gens stressés ? Pour un centre de capitale, on y respire bien trop d'air frais ! Entamons la route à pied, vers l'autre rive et ses monuments. Sous la chaleur ardente, difficile pour Stéphane de résister à une leçon d'effeuillage à la française en trois actes :
1- choisir un emplacement où l'on se sent à l'aise,
2 - débuter le strip sous les yeux de deux innocentes,
3 - s'assurer d'un final grandiose avec le passage du bus.
Les rives du lac artificiel Griffin apaisent les ardeurs, et saluent la mémoire d'un australien célèbre année après année. Derrière, s'alignent les bâtiments solennels : galerie d'art moderne, bibliothèque nationale, Haute Cour d'Australie, ancien Parlement et juste derrière le tout nouveau Parlement. Tout cela contenu parfaitement dans un trou de serrure, comme l'indique le plan. Les impératifs administratifs ont été répartis ici, entre des jardins taillés de près ("le village vert" je rappelle...). Point de tram ou de métro pour entacher l'utopie urbaine, les locaux prennent le vélo (ou le voilier... lac artificiel aidant).
Passage obligatoire au Dickson Backpacker : quatre murs, deux lits superposés, deux casiers et une chaise. La clientèle n'est pas très variée, essentiellement des ouvriers asiatiques ou irlandais de passage. D'ailleurs, les chaussures infectieuses jonchent les couloirs, et l'on suivra le conseil de notre hôtesse qui déconseille les douches entre 6h et 8h, pour s'épargner des scènes glauques. La nuit à Canberra n'est pas festive... Attablés à un bar du centre, pression à la main, Dan demande du feu puis tape l'incruste, un art qu'il doit bien souvent pratiquer. Il raconte son parcours à Canberra : débarqué pour pourvoir un poste d'analyste, il démissionne cinq ans plus tard car son gros salaire ne lui suffisait pas, il voulait "vivre". Il quitte son appartement, achète un van dans lequel il vit et parcourt les chantiers. "Je me fais la même paie qu'avant, sauf que je profite des saisons au ski, et surtout je bosse en plein air et quand je veux !"... il connaît bien l'endroit où nous logeons, le Dickson "Passez le bonjour à Deb". Le monde est petit... enfin surtout cette ville. Retour à la caserne pour la nuit, pieds martyrisés.
Le lendemain commence par un petit déjeuner anti-diététique sur une place banlieusarde. Encore un type qui approche, celui-ci paraît sobre mais arbore une coiffe de pharaon d'Égypte absolument irrationnelle, peut-être pas si sobre finalement... Lui aussi trompe l'ennui en abordant les nouvelles têtes, autant dire que les trois frenchies à sac à dos sont particulièrement attractifs. "Vous êtes français ? Que venez vous faire à Canberra ? Vous allez vous ennuyer...". La légende se confirme, on a voulu faire une ville parfaite, fonctionnelle et fonctionnaire, taux de chômage quasiment nul, niveau de vie élevé, mais tout le monde tourne en rond. Finissons tout de même le programme dignement : War Memorial, détour par l'université, puis casse-croûte sur berge au pied du National Museum. La fatigue aidant, on prend le premier bus qui nous mène 40 minutes plus tard dans une ville voisine, oups... Retour à temps au centre, l'orage éclate et l'on se réfugie dans le mall en attendant le trajet retour. Plus tard, ma colocataire Monica m'apprend deux choses à propos de Canberra, c'est le plus fort taux de suicide en Australie, idem pour les accidents de voiture, la faute aux routes trop droites dit-on, mais visuellement plaisantes.